Depuis quelques années, je vois beaucoup de DSI écartés « de la table » du Comex (rattachés au DAF, aux opérations, aux directions des transformations, et autres plus farfelues…) que de DSI qui gagnent en responsabilité et en légitimité stratégique. Au fil des ans, j’ai constaté un profond manque de confiance à l’égard des DSI, se traduisant par un turnover important. La grande question est à qui la faute ? La réponse est assez simple : à nous ! Il existe des preuves évidentes de l’incapacité de quelques DSI à acquérir une légitimité stratégique.
En simplifiant, beaucoup de DSI ont emprunté le parcours professionnel suivant : le monde du développement d’applications ou le monde des réseaux et des serveurs. Certes, ce sont de bonnes bases mais elles ne suffisent pas. Ces filières ne permettent pas à une connaissance approfondie de la stratégie, de la gouvernance, de la communication, du management, de la conduite du changement ou plus simplement d’un P&L. Le constat est le même pour les DSI qui ne sont pas issues d’une filière technologique et qui ne disposent d’aucune maîtrise des basiques (et de surcroît qui n’ont jamais fait l’effort de combler le fossé à minima) … Cela me rappelle la lecture d’un schéma directeur réalisé par un ancien DAF devenu DSI (d’une très grande entreprise) : un magnifique PowerPoint avec des slides et des slides de chiffres. Comme dirait ma fille dans son langage d’adolescente : « C’est carré ». Magistral !
Notre rôle devient de plus en plus complexe en faisant appel à des compétences larges et complexes. Disposer de toutes ces compétences en fait une personne s’apparentant à un Alien, cette créature sortie de l’imaginaire de Ridley Scoot et apprivoisée par Sigourney Weaver.
Vous ne me croirez certainement pas mais j’ai récemment eu la chance d’avoir un « date » avec un Alien. Une rencontre si exceptionnelle que je me devais de vous partager ce que j’ai retenu de ce diner en tête à tête :). Soyez rassurés, notre histoire n’ira pas plus loin et nous avons préféré nous quitter en bons amis, en tout bien tout honneur 🙂
Comment être un Alien sans maîtriser le modèle économique de son entreprise et son écosystème ?
Un DSI doit comprendre le business model de son entreprise, adapter les technologies à celui-ci tout en répondant à une stratégie long termes. Il doit avoir la capacité d’identifier de nouvelles propositions de valeurs au modèle établi dans le but d’optimiser les revenus de son entreprise. Dans ce secteur technologique qui évolue rapidement, chaque DSI doit capter les signaux proactivement avec distinction et prudence. Détecter, trier, synthétiser et vulgariser ces « inputs » permettent d’anticiper les changements majeurs qui pourraient trouver du sens dans l’entreprise, un sens en termes de résultats tangibles (pas du « bullshit »). Soi-disant, ceci implique de ne jamais succomber aux chants des sirènes : le battage médiatique … Soyons curieux mais réalistes.
Comment être un Alien sans être un véritable stratège ?
La réflexion stratégique doit se concentrer sur la mise en œuvre de valeurs tangibles et l’identification d’opportunités, sans hésiter d’y ajouter un brin de création et de provocation pour initier les débats, les échanges. C’est ainsi que nous trouverons une Notre place au sein d’un Comex, en apportant un autre regard et des idées « neuves ». Après tout, c’est bien ce qu’attend un président, que nous apportions un regard neuf sur l’entreprise et dénichions de nouvelles opportunités pour son développement ! A l’inverse, de belles paroles sans résultats tangibles, sans un run impeccable, nous pousserons un jour ou l’autre vers la « sortie ». J’ai des exemples de DSI qui excellaient dans les transformations mais qui, par la suite, ont échoué lorsque leur rôle a évolué vers la conduite des opérations (l’inverse est vrai aussi). Fondamentalement ils n’étaient pas de mauvais DSI mais ils n’ont pas su adapter leurs compétences à ce nouveau contexte. Du vécu : des DSI qui ne savaient pas où étaient hébergés leurs infrastructures, ne connaissaient pas leurs métriques budgétaires, incapables de savoir de combien de projets constituaient leur roadmap, … Merci, au revoir !
Comment être un Alien sans maîtriser les concepts technologiques ?
On constate que de plus en plus de DSI ne proviennent pas du « milieu » de l’IT. Compliqué de conduire une voiture sans un permis ! Sans un parcours professionnel et une expertise sur lesquels s’appuyer, ces profils doivent impérativement maitriser les fondamentaux. Sans efforts point de réussite dans la mission ! Ils sont indispensables pour combler ce fossé et réduire ce déficit de compétences. Bien que des expertises techniques expertes ne soient pas une exigence pour un DSI, la maîtrise des fondamentaux permet une prise de décision réfléchie et éclairée. De manière indéniable, cette maîtrise apporte également une forme de légitimité auprès de son équipe.
Comment être un Alien sans exceller dans la conduite du changement ?
Le monde change, l’entreprise pivote de plus en plus rapidement et de facto les SI évoluent à vitesse grand V. Les DSI doivent accompagner l’entreprise à comprendre, à adopter et à naviguer dans les changements induits par une transformation : nouvelle organisation, nouvelles méthodes de travail, nouveaux outils, etc. Il est devenu indispensable de s’engager dans une véritable démarche de compréhension et d’appropriation des arcanes du changement et d’en faire un talent. Un talent qui s’accompagne souvent par cette capacité à développer une grande proximité avec ses équipes et l’ensemble des collaborateurs.
Comment être un Alien sans être un bon négociateur et un bon vendeur ?
Les négociations sont toujours nécessaires pour obtenir (de nos pairs ou de nos partenaires) le résultat que nous souhaitons. Seulement voilà, cela ne s’improvise pas, cela se prépare et nécessite un sens de l’observation développée : à qui ai-je à faire ? quelles sont ses intentions ? Quelles sont ses forces ? quelles sont ses faiblesses ? C’est en ayant répondu à ces questions que nous serons en mesure d’adapter notre posture. Les plus doués iront même jusqu’à jouer au poker, jusqu’à exploiter le « bluff ». Apprenons à identifier ce qui est le plus efficace lorsqu’il s’agit de négocier avec notre entourage interne ou externe à l’entreprise. A y réfléchir, nous ne sommes pas très éloignés du métier du camelot.
Comment être un Alien sans être un banquier d’affaire ?
L’une des principales priorités des DSI est de s’assurer que les investissements réalisés génèrent réellement de la valeur. Les entreprises resserrent drastiquement leurs budgets et réduisent leurs investissements dans ce climat économique moribond. La rentabilité est plus que jamais au centre de toutes les préoccupations. Il est indispensable de « recalibrer » les besoins financiers des DSI en les mettant en corrélation avec les moyens de l’entreprise. Ouvrons la chasse aux dépenses inutiles, luttons contre la prolifération des SaaS, réduisons le nombre de solutions, recomptons les licences, … Un petit conseil, si un investissement n’a pas apporté un minimum de valeur tangible au bout de six mois, un examen critique s’impose ainsi que la mort du « petit cheval » !
Comment être un Alien sans s’entourer ?
S’entourer est un acte de leadership et de maturité, on ne réussit jamais seul. L’influence de notre entourage personnel et professionnel joue un rôle capital dans notre réussite et notre remise en question. Il est impensable d’incarner cette posture de leader, de manager, d’influenceur sans l’assentiment de son premier cercle et de ses équipes. Réalisons nos castings avec attention, favorisez la diversité sans craindre la rébellion. Faisons les bons choix, les bons recrutements, avec un pas de côté, en acceptant de ne pas simplement porter attention aux diplômes, au parcours de nos futurs collaborateurs. Tentons plutôt de mesurer à quel point un collaborateur s’intègrera dans un projet avec un comportement en adéquation avec nos valeurs. Et oui, s’il est performant il pourra prendre notre place mais cela restera gratifiant pour des leaders que nous sommes. Enfin, s’entourer signifie également s’ouvrir à un mentor, une personne capable de nous contre dire, de nous bousculer, de nous contrarier dans nos idées et nos préjugés. Et pour un mentor, quoi de plus beau que de transmettre avec empathie ?
Comment être un Alien sans déléguer ?
Les DSI qui pensent qu’ils doivent tout faire se trompent (je pèse mes mots pour ne pas les qualifier de vaniteux). La délégation « intelligente » et contrôlée est indispensable, valorisante pour nos collaborateurs. Plutôt que de passer du temps à « éteindre les incendies » et à gérer les opérations informatiques dans les moindres détails, il parait plus judicieux de consacrer ce temps aux projets stratégiques, ceux sur lesquels nous sommes attendus et jugés. Viel adage à ne pas oublier tout de même : « La délégation n’exclut pas le contrôle et votre responsabilité collective ». Par ricochet, nous renforcerons notre efficacité personnelle et tirerons le meilleur de nous-même. Le succès commence par cette capacité à focaliser notre énergie sur les résultats stratégiques à atteindre, à fixer des objectifs réalistes aux équipes et à gérer efficacement notre temps. Force est de constater que les DSI qui disposent de ces capacités ont vu leur carrière se développer très rapidement pour une simple raison : l’atteinte des objectifs et des résultats souhaités.
Comment être un Alien sans décider ?
L’accélération des entreprises et l’incertitude croissante impose un mode de décision agile et rapide. Ces décisions sont attendues par les équipes et sont aussi le reflet de votre courage managérial. Décider est en général une activité stratégique de haut niveau réservée aux dirigeants même si elle n’est pas toujours notre exclusivité (responsabilisation de ses lignes de management). Décider est un art, une discipline largement développée chez les anglosaxons. Quel est le premier critère pour recruter un manager de transition pour gérer une situation de crise ? Pas sa compétence technique (pourtant cruciales), ni son expérience (toujours autant cruciales) mais sa capacité à décider. On leur demande de savoir trancher, choisir, prendre position. A l’inverse, la non-décision engendre une accumulation de problèmes, crée des conflits et développe l’immobilisme. Il est définitivement impossible d’avancer sans un capitaine qui dirige et donne la direction. Nous souhaitions notre autonomie, notre liberté d’actions, revendiquions notre sacro-sainte envie d’entreprendre alors assumons et décidons !
Comment être un Alien sans gérer les conflits ?
Les conflits sont sains mais leur gestion peut être difficile pour certains DSI. Ils sont constructifs lorsqu’ils restent centrés sur le problème, lorsqu’ils invitent à la discussion pour trouver une solution commune et partagée. C’est ce que j’appelle la confrontation constructive, celle qui élimine les tensions et augmente la responsabilité de toutes les parties prenantes. Il est primordial de développer cette capacité qui nous permettra d’aboutir au meilleur résultat (peut celui que vous vouliez d’ailleurs !), au meilleur des compromis tout en engageant l’ensemble de l’entreprise dans un dialogue plus qu’une opposition.
Comment être un Alien sans maîtriser les intelligences émotionnelles et interpersonnelles ?
Les technologies engendrent des bouleversements importants dans nos entreprises et c’est notre rôle de soutenir l’entreprise et nos pairs durant ces transitions et/ou changements. Elles peuvent angoisser, crisper les personnes qui les utilisent au quotidien. L’intelligence émotionnelle et interpersonnelle sont de bonnes clés pour résoudre ces difficultés. Alors vous me direz, qu’est-ce que c’est encore que ces idées farfelues ? Elles ne sont pas si farfelues que cela, elles sont même primordiales pour un DSI.
L’intelligence émotionnelle est notre capacité à réguler nos émotions et celles des autres, à les distinguer et à utiliser ces informations pour guider sa pensée, ses actes et actions, tandis que l’intelligence interpersonnelle nous permet d’agir et de réagir avec les autres de façon adéquate. A nous d’utiliser intensément cette sensibilité et empathie pour tisser des liens forts avec toutes les personnes de l’entreprise, du bas au haut de l’échelle, sans aucune exception.
Cette agilité et ouverture intellectuelle permettent de comprendre les freins mais surtout d’avoir la capacité de nous adapter à la diversité qui est une réalité dans une entreprise.
Malgré tout cela, nous n’échapperons pas aux luttes de pouvoirs et d’autorité de quelques C-Level éloignés de ces approches, à mon grand regret d’ailleurs. Mais finalement le meilleur des pouvoirs n’est-il pas plutôt dans ces valeurs humaines, dans cette capacité à rassembler ? C’est mon choix !
Comment être un Alien sans une image de marque ?
L’image de marque sera de manière indéniable ce qui restera de nous au sein de l’entreprise. Nous devons développer notre image et notre empreinte et cela doit se sentir jusque dans notre vision, notre stratégie, nos prises de paroles, etc. Développons notre « puchline », cette dernière phrase qui fait rire mais surtout réfléchir. Inutile de nous « travestir », le naturel revient au galop. Il y en a qui ont essayé lors de leurs entretiens d’embauche, à leur dépens, qui plus est qu’en général cela s’accompagne également d’un embellissement de leur parcours. Une pépite lors d’un échange avec un « jeune » DSI : « Explique moi pourquoi l’entreprise t’a donné cette opportunité d’être DSI ? », réponse : « Parce que je suis talentueux ! ». L’aventure commence mal avec un égo surdimensionné !
Comment être un Alien sans communiquer ?
Une communication efficace est un facteur important de la réussite mais également de l’établissement de relations constructives et de l’accompagnement au changement. Sans communication, pas de résultats, pas d’adoption, pas de marketing du DSI et de son département. C’est également une manière un peu détournée d’influencer positivement le système à tous les niveaux. Être performant en communication se traduit par le fait que nos communications sont à même de raisonner dans quatre directions : vers le haut, vers le bas, transversalement et vers l’extérieur. Il est indispensable d’améliorer sans relâche ses talents de communiquant en affinant les messages, le ton. A l’inverse, évitons de jouer les « cadors » et restons humbles.
En conclusion …
Je conclurai cette réflexion en remerciant chaleureusement mon « date » pour ce moment de partage (expérience ?), de sobriété (oui de sobriété !), décalé et instructif. Rencontrer un Alien est exceptionnel, rencontrer un Alien en robe de cuir et monté sur une paire de cuissardes Louboutin … on appelle cela le GRAAL :).
Et vous ? vous êtes plutôt Alien ou DSI ?
